10 sept. 2013

LEGENDE DE CASTELBOUC - VERSION COMPLETE -

Comme je l'ai précisé dans le précédent article, ,  la légende a fait partie de l'exposition réalisée par les Castelbounels.
Pour la petite histoire, elle a été volée assez rapidement ! (tout - et tout le monde - n'est malheureusement pas parfait)
 Aussi, avant de continuer la publication des photos, voici  le texte de la version complète : il mérite qu'on s'y arrête un moment car c'est une vraie tranche de vie qui est contée là !.
Bonne ballade dans le passé.


LA LEGENDE



" Alors tous s'en allaient : rois, évêques, barons
Gueux des communes, serfs de la glèbe, larrons
Malandrins, tous, la Croix Blanche entre les épaules Pêle-mêle...
C’était sur le pays des Gaules un flot humain qui passe,
Impétueux, grondant, immense, remplissant les vallons,
Inondant les plaines, submergeant les monts noirs de son ombre.

Ces foules précédaient d’autres foules sans nombre
Dont les bruits effaceraient les aigles dans les aires.
Derrière elles, châteaux et bourg restaient déserts
Monastères, cités devenaient solitudes.
Les hommes, ébahis devant ces multitudes
Tout à coup soulevés par le souffle de Dieu,
Les suivaient et partaient, sans un regard d’adieu
Pour le champ, la maison, les vieux, la femme enceinte.

« Dieu le veult » et chacun courait en Terre Sainte.
Car c’était en l’an mil nonante six, je crois,
D’Aiguillette à Capluc, tout seigneur prit la croix
Dolan et Montesquieu, Monbrun et Charbonnières
Entraînaient leurs vassaux rangés sous les bannières
Et dans la gorge étroite où le Tarn rampe au pied
Des monts, il ne resta qu’un homme estropié
Un soir d’automne, on vit ces bandes dévaler
S’enfoncer dans la brume épaisse des vallées,
Vers le Rouergue, et tout devint silencieux.

SEUL du haut de sa tour qu'un grand roc dresse aux cieux
Surplombant au-dessus d'une bourgade agreste
Quand la troupe passa Raymond cria "JE RESTE,
Je reste pour garder vos femmes, vos enfants.
Allez et puissiez vous revenir triomphant
Moi le haubert m'étouffe et le casque m’assomme...
Adieu » Puis il se mit au lit et fit un somme.
C’était un banneret de mœurs douces, ayant
L’esprit simple et trouvant le repos fort seyant.
Hors de son campement il n’eut point fait deux lieues.
Il ne voulait rien voir sinon les nappes bleues
De sa rivière, où l’ombre est si fraîche en été ;
Les coteaux où la vigne étale sa gaité,
Et les rochers altiers dentelant sa falaise.
Il ne désirait rien, sinon de boire à l’aise,
Devant l’âtre en hiver ; sous la treille au printemps,
Et son gobelet d’étain, depuis vingt ans,
Il se regardait vivre avec béatitude
Être assis lui semblait la meilleure attitude :
Il resta donc assis et but comme devant.
Oh, dans les sombres nuits d’hiver,
Lorsque le vent secouait les meneaux de la fenêtre,
Comme il apprécia mieux encor son bien être
Et savoura, dans la rigueur de la saison,
La paix et la douceur tiède de la maison.
Mais l’avril arriva, suave, un avril rose :
Les coteaux bruns, les près jaunis, le val morose
S’égayèrent : le ciel bleuit, le soleil rit
Et l’aubépine au creux des ravines fleurit.
Et le sire, parmi ces ivresses de vie,
Lui en sentit éclore une autre âme ravie
Et généreuse, un jour ou le matin vermeil
Aveuglait ses yeux lourds encore de sommeil.
Où des souffles erraient plus doux qu’une caresse.

Alors il se dresse, secouant sa paresse,
Comme un ressuscité rejette son linceul,
Une honte le prit d'être inutile, seul
En son castel ainsi qu'un ours en sa tanière
Et le cœur débordant de sève printanière
Il descendit au bourg tapi sous le rocher.

Or les femmes voyant leur seigneur approcher
L'entourèrent disant "Ah ! Que tristes nous sommes
Filles sans nos galants, épouses sans nos hommes
Venez-vous apporter remède à nos ennuis »
« Vous plait-il de nous prendre en pitié, gentil sire »
Que mornes sont les jours, que longue sont les nuits !"

Le cœur du banneret mollit comme une cire...
Sans doute qu’un regard aussi l’ensorcela
Ce qui suit ne se peut expliquer sans cela
« Oui, dit-il, de vos maux je connais le remède
Je vous consolerai toutes si le ciel m'aide,
Venez me confier vos peines » Une vint
Bientôt il ne resta plus dame ou damoiselle
Dans le bourg qui n’eut mis à l’épreuve son zèle

Aucune n’entendit cet homme dire : « Non »
En moins d’une semaine il acquit un renom
Tel que l’on accourut de tout le voisinage
Et le Castel passa lieu de pèlerinage
Où notre banneret tint la place du saint.

Toutes volaient à lui, comme un ardent essaim
Vole pour la piller à la grappe vermeille,
Il était cette fleur dont la femme est l’abeille,
Et jamais d’une fleur les pistils satinés
Ne furent par autant d’abeilles butinés.

Contre un essaim c’est peu qu’une corolle seule.
Ainsi put en juger Raymond qui, las et veule,
Pour avoir compati trop aux maux de ses gens,
Moins dispos désormais, les trouvait exigeants :
Volontiers à plus d’une il eût demandé grâce ;
Il n’osait point : c’était déshonorer sa race,
Mentir au bon renom de dix preux, ses anciens.
« Un contre tous » était la devise des siens
Et, fidèle, il resta lui seul contre elles toutes.
Une vieille lui dit : "Cela finira mal
A l'user de la sorte on crève l'animal ! "
« Messire, à sa vigueur mesurait les épreuves.
Je vois comme un troupeau de fauves, trop de veuves
À vos trousses : il n’est de si beaux appétits
Que ceux de veuves à qui les morceaux sont partis.
Croyez m’en ; votre hôtesse est pleine de malice,
La lèvre est fort gourmande et ne lâche un calice
Qu’après l’avoir vidé. Craignez pareil destin »

« O Vieille, fit Raymond, à peine le festin
Commence et tu voudrais que je lève la table ?
Le mets qu’un jeûne a fait trouver plus délectable
Des convives à peine a réjoui la faim,
Et tu voudrais qu’alors je dise : « c’est la fin »
Bonne femme, tu n’en parles que par envie
Va, la table est pourvue et restera servie,
Toi, demeure à l’écart et jeûne s’il te plait »

Ainsi qu’il l’annonçait, le régal fut complet.
Mais la meilleure chose est de peu de durée
Et ce régal trop court ne fut qu'une curée
Où la femme croqua jusqu'au dernier lambeau.
Pauvre Raymond ! Un soir hélas, comme un flambeau
Qui jette en expirant une plus vive flamme,
Dans un effort suprême et doux, il rendit l'âme.

Un trépas si soudain excluant tout remords,
Nul ne lui récita la prière des morts
Son cadavre fut mis en terre sans le prêtre
Et la vieille conta qu’elle avait vu paraître
La nuit suivante, sur le roc où le manoir
S’élève, un étrange animal, velu, noir,
Un grand bouc qui poussant des bêlements infâmes,
Dardait vers la bourgade où reposait les femmes
L’éclat de son regard fixe et concupiscent
Tandis que d’autres voix, vagissant, glapissant,
Ou le rut fait vibrer de rage ou sa tendresse,
Répondaient à l’appel que le bouc leur adresse
Du fond de la vallée à la cime du mont.

Et la vieille ajouta : "C'est l'âme de Raymond"
Vous l’avez reconnu avant que je la nomme,
Car votre maléfice a transformé cet homme
En bête, et vous l’avez bien vite dépêché
Chargé de votre honte et de votre pêché,
Encor tout frémissant de vos fureurs charnelles
Comme un bouc émissaire, aux flammes éternelles.

Ô CASTEL, tu seras CASTELBOUC désormais »

Depuis lors on entend, la nuit, sur ces sommets
Où le donjon crevé porte au front des ramures,
Un bêlement suivi par d'étranges murmures.
Et les veuves, songeant aux veuves de jadis,
Se signent et tout bas disent : "De profundis".

( « Aux Gorges du Tarn » Louis Jourdan - Paris Lemerre 1894 – Archives cote n° 999) 



2 commentaires:

  1. Diantre, que voila une légende magnifique et ... si vraie évidemment. Cela me rappelle ma visite au château, c'était il y a bien longtemps.

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    Réponses
    1. Bonjour Monsieur le Preux Chevalier !
      Je suis ravie de t'accueillir parmi nous ! Le monde est si petit tout compte fait (Planète Pérou, Des mots pour le Dire !!).
      Si tu reviens un jour à CASTELBOUC (les vipères ont fui depuis ton passage !!), tu seras le bienvenu : tu n'as qu'à demander Janine, sur la place.
      Pour en revenir à la légende, je suis d'accord avec toi : elle est magnifique. Et dire que j'ai grandi en n'en connaissant que le résumé !! comme la majorité des gens d'ailleurs.
      Cordialement
      Janine

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